Quand j'étais petit, j'avais constaté qu'à la différence du crayon à papier, le stylo à bille (ou son supérieur le stylo à plume) dépendait d'une encre qui se trouvait être vite épuisable. La réserve vide, il fallait ou changer de stylo à bille ou remplacer la cartouche du stylo à plume. Mais pas pour le crayon à papier. Cette merveille de l'innovation humaine pouvait écrire, écrire et réécrire, même être effacée, sans qu'une quelconque encre ne vienne à manquer.

J'allais pouvoir prendre un de ces crayons, l'avoir toujours sur moi tel un bracelet, un porte-bonheur ou une bague, l'utiliser en cas de besoin, et pouvoir le ressortir dans dix ans, intact, et dire fièrement "C'est avec lui que j'ai fait les brouillons de mes premières lettres d'amour, quand j'étais jeune". Et comme serait inestimable un pinceau de Van Gogh, ce crayon serait inestimable pour moi.

Pour une raison étrange, je n'ai jamais vraiment décidé de prendre un crayon pour le garder indéfiniment. Tout ce que j'ai fait, c'est utiliser et réutiliser le même (celui qui se trouvait dans ma trousse) pendant plus de deux ans, le taillant quand sa mine devenait inapte à faire son travail correctement. Aujourd'hui, je n'ai même plus réussi à l'aiguiser. Il ne rentrait plus dans le taille-crayon. Je me suis rendu compte que ce rêve de crayons immortels était irréalisable, car s'il ne coûtait rien à l'utilisation il devrait finir par être inutilisable tôt ou tard. Et plus tôt que tard.

C'est ainsi que je rends hommage à ce crayon, ce petit bout de rêve, ayant bravement alimenté mes gribouillages pendant plus d'un dizième de ma vie. Je pense que je l'enterrerai lorsque le moment sera venu, car il ne mérite pas la poubelle. Puis j'en prendrai un neuf, mais aucun crayon ne pourra le remplacer.